La guerre des religieux

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interview journal Libération du 27 JUILLET 2009

«Le Guide Khamenei s’est rapproché de la tendance de Mesbah-Yazdi. S’agit-il d’une alliance stratégique ou est-ce parce qu’il se sent isolé ?», s’interroge Hassan Makaremi, un chercheur iranien, qui note aussi que le Guide a toujours été très proche des pasdaran. Iran.

 

Les autorités spirituelles du pays affichent désormais ouvertement leurs divisions. Quand un haut religieux iranien veut signifier son désaccord avec le régime islamique, soit il se refuse à prononcer le prêche de la prière du vendredi, soit il ferme son séminaire, soit il dépose son turban. Son turban, le grand ayatollah Montazeri, qui fut jusqu’en 1988 le «dauphin» de l’imam Khomeiny, ne le porte plus depuis longtemps. Jusqu’à présent, celui qui demeure la plus haute autorité spirituelle des chiites iraniens était quasiment le seul mojtahed à contester ouvertement le pouvoir iranien, ce qui lui avait valu d’être placé en résidence surveillée dans la ville sainte de Qom. Mais la réélection, au prix d’une fraude massive du président Mahmoud Ahmadinejad, a jeté le trouble dans le clergé chiite. Bien sûr, les ayatollahs et grands ayatollahs de Qom et de Macched, l’autre grande cité sainte, restent prudents, voire peureux. Il demeure que l’establishment chiite traverse une crise sans précédent au point de laisser apparaître ses divisions. SUR LE MÊME SUJET Règlement de comptes au sommet du pouvoir Fraudes. La fitna (discorde religieuse), que Khomeiny estimait comme l’un des pires maux de l’islam, est désormais au cœur de la République islamique. C’est le discours de l’hodjatoleslam (religieux de rang intermédiaire) Ali Akbar Hachémi-Rafsandjani, le 17 juillet, lors du prêche du vendredi à l’université de Téhéran, qui a montré l’ampleur de la lutte plutôt secrète que se livrent désormais les religieux. L’ancien président iranien, qui occupe la présidence de deux institutions clé du régime - l’Assemblée des experts et le Conseil de discernement - n’était jamais allé si loin dans ses critiques. Certes, on le sait ennemi juré d’Ahmadinejad, qui, pendant la campagne électorale, a dénoncé sa corruption, il est vrai légendaire. Mais jusqu’alors il s’était gardé de répliquer, préférant agir en coulisses. Cette fois, il a transgressé les tabous en dénonçant les fraudes, la «terreur» policière et en demandant la libération de tous les prisonniers. De plus, en se posant comme recours, il a défié le Guide suprême Ali Khamenei, et protecteur d’Ahmadinejad (Libération du 18 juillet). La réponse du Guide a été menaçante, même s’il n’a pas nommé Rafsandjani : «Les élites doivent faire très attention à ce qu’elles disent, elles traversent en ce moment une épreuve importante, ne pas réussir cette épreuve ne va pas uniquement les exclure du pouvoir, mais pourrait aussi entraîner leur chute.» Derrière ce combat entre ces deux piliers du régime, se dissimule un autre débat : celui portant sur les pouvoirs du Guide. Rafsandjani entend les limiter et souhaite même qu’il revienne au peuple de choisir son Guide. Il se fonde en cela sur la volonté de Khomeiny qui avait inscrit le suffrage universel dans la constitution islamique. Depuis son discours, il a même volé la vedette à Mir Hussein Moussavi, le candidat «malheureux» du scrutin présidentiel. La réponse des radicaux du régime au discours de Rafsandjani a été une véritable déclaration de guerre, en particulier celle de l’ayatollah Mohammad Yazdi, membre du Conseil des gardiens de la Constitution et de l’Assemblée des experts. D’où l’existence d’une fracture désormais ouverte au sein des religieux. Les uns restent fidèles au Guide, comme les ayatollahs Yazdi ou Ahmad Khatami. Les autres se rangent plus ou moins ouvertement derrière Rafsandjani, comme le grand ayatollah Makaremi Chirazi et l’Association des religieux combattants qui réunit les mollahs réformateurs. S’ajoutent les partisans de l’ayatollah Montazeri, qui, eux, ont déclaré le régime «illégal», mais sont très minoritaires. En fait, la plupart des religieux évitent de se prononcer, craignant de perdre leurs responsabilités ou inquiets de leur sécurité. «Danger». Ce qui est en jeu, c’est aussi la nature du régime. On distingue une évolution dans les sphères du pouvoir avec la montée des éléments sécuritaires, pasdaran (gardiens de la révolution) ou miliciens du Bassidj. Dernièrement, un communiqué du général Firouz Abadi, le chef d’état-major interarmées, insistait pour qu’il ne soit plus toléré d’opposants, fussent-ils réformateurs. L’officier s’adressait à l’imam caché, le douzième imam historique des chiites, dont ceux-ci attendent le retour. On y retrouvait la même terminologie que chez les hodjatieh, une tendance ultra-radicale du chiisme, incarnée par l’ayatollah Mesbah-Yazdi, le mentor de Ahmadinejad. Hostile à l’Etat-nation, et donc à la République islamique, cette faction rêve d’instaurer d’un régime islamique pur et dur dépassant le cadre national, un rêve caressé un temps par Khomeiny. «Le Guide Khamenei s’est rapproché de la tendance de Mesbah-Yazdi. S’agit-il d’une alliance stratégique ou est-ce parce qu’il se sent isolé ?», s’interroge Hassan Makaremi, un chercheur iranien, qui note aussi que le Guide a toujours été très proche des pasdaran. Est-ce pour cette raison que Moussavi, qui est demeuré éloigné de la politique pendant vingt ans, s’est présenté au scrutin présidentiel de juin. Il avait justifié son geste par l’existence d’un «grand danger». Est-ce aussi pour cette raison que certains ultras retournent leurs vestes ? Le responsable du Hezbollah (un groupe chargé des basses besognes du régime) de Téhéran, Deh-Namaki, et son chef spirituel, l’ayatollah Khaffari, viennent de faire savoir qu’ils regrettaient leurs exactions passées.

Jean-Pierre PERRIN

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