Nature / contre-nature, la sagesse a-t-elle son rôle à jouer ?

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Est-ce la sagesse collective ou la sagesse individuelle, qui permet la définition d’un périmètre nature/ contre-nature?

Entre le 30 juin 2012 et le 30 juin 2013, un groupe de travail composé de Anne-Gaëlle Burban, Hassan Makaremi, Emmanuelle Bour-Poitrinal, Isabelle Prudhomme, Yoann Murguet et Esfandiar Attaran, s'est donné pour objet d'entrer dans la problématique nature/contre nature, via la production de plusieurs textes.

Ainsi sans qu'il n'y ait d'enchaînement logique apparent et flirtant plutôt avec la spontanéité de l'association libre, émerge de ce corpus une étude aléatoire, mais non moins profonde.

Ce florilège, à l’instar d’un journal de bord, est un essai collectif qui tente de cerner les enjeux sous-tendus par la dialectique nature / contre-nature susceptible d'intéresser aussi bien les psychanalystes, les anthropologues, les plasticiens, les poètes, les psychologues, les architectes, les ingénieurs, et autres curieux de l'histoire de l'humain.

Quelque chose de la mort n'appartient qu'à l'homme

Yoann MURGUET

Aborder la problématique de nature / contre-nature d’un point de vue psychanalytique, oblige à quelques détours utiles vers des notions universelles. Connues pour leurs apparentes simplicités, les notions de vivant, de nature, de naturel, de vie, d’âme… jetteront les bases de notre réflexion. Nous verrons que la problématique de nature / contre-nature, n’intéresse que l’homme, recouvrant les notions d’humanité et de sujet. Nous verrons aussi après l’avoir isolé, le rôle du langage humain autour de notre questionnement.

Le vivant est-il en mouvement ? Peut-on dire de lui qu’il est immuable, transgressif, régi par des lois ? Le monde du vivant est-il un ou multiple ? Quel but a la Vie ? Les connaissances actuelles sous l’égide de la biologie et de la génétique, nous enseignent qu’un monde invisible nous gouverne. De la définition du vivant sous la loupe des savants, il en ressort d’être supporté par des organismes organisés, programmés, unis ou pluri cellulaires dotés d’une capacité de reproduction, dont le but semble être essentiellement la continuité de la vie de la cellule ou de l’organisme auquel elle participe. La reproduction de la vie est elle l’identique à son parent ? Il semblerait que non. Cette continuité de la vie se fait par modification de l’expression génétique. La cellule doit beaucoup à sa formidable adaptabilité à l’environnement. L’encodage programmatique serait immuable mais ses variations d’expression encore méconnue semblent infinies. On reste pour le moment sans réelle compréhension de ce phénomène mais l’observation nous a montré l’existence d’une dialectique entre la génétique et l’espace temps propre à l’organisme. On parle alors d’une capacité à l’auto modification.

On dit du naturel qu’il va de soi, on entend par-là qu’il est la marque d’un respect scrupuleux à l’ordonnancement d’un système. De cet état naturel propre à un système, on peut prédire ce qu’il en est et ce qu’il en sera. La faculté de s’écarter du naturel est nulle si le système est par nature incapable de s’extraire de quelque manière que ce soit de la poussée qui le gouverne, s’il n’est pas doté d’un pouvoir de maîtrise, de conscientisation, d’élaborations conceptuelles mutualisée (savoir) ou d’une tendance à l’auto modification. Sans aucun de ces attributs l’organisme vivant est voué à la disparition. Quelle que soit sa nature, il est souvent inintelligible : la marque du réel. Souvent la connaissance de la nature d’une chose se réduit à l’acte de prédiction d’un événement. Gardons en tête simplement que la prédiction n’équivaut pas à la connaissance tout entière, elle n’est qu’un cas particulier de celle ci. Cette restriction abusive de la connaissance prédictive fait empire dans le monde scientifique contemporain : le positivisme logique. Cela devra évoluer quelque peu à n’en pas douter. Le naturel n’est qu’un état de perfection qualitatif du fonctionnement intrinsèque de la Nature d’un objet.

Mais le vivant a plusieurs échelles d’études, il nous est impossible de le réduire et chacune d’elle permet d’en appréhender un versant. Que les études actuelles offrent la primauté à l’infiniment petit ou à l’infiniment grand pour aborder les problématiques aux contours du réel ne constitue pas la preuve que le paradigme positiviste soit le bon. L’étude des couches superficielles n’a pas le même impact et le dépassement de l’épistémologie classique est nécessaire pour aller plus avant dans notre problématique. Cette question du vivant a depuis longtemps été abordée par l’homme, sous des aspects moins restrictifs et plus réflexifs. Par exemple, chez Aristote, la vie est antérieure et en devenir par nature. Ce retour vers ce type de réflexion semble dépasser ici en complexité les conclusions issues des sciences biologiques. Le vivant se distingue du non vivant par sa qualité d’être animé : Est vivant ce qui est animé et par conséquent est non vivant ce qui ne l’est pas. Cette définition chez Aristote se lie étroitement à celle de l’âme : L'âme est l'acte premier d'un corps organisé. La notion d’âme chez Aristote n’appartient qu’au vivant, elle est souffle et structurante, on la retrouve dans les règnes végétal, animal et humain, elle peut être végétative et/ou sensitive et/ou motrice et/ou intellective.

L’âme végétative ne vise que la production d’elle-même et sa reproduction entendue comme perpétuation de l’espèce. L’âme sensitive permet d’avoir un ressenti des stimuli extérieurs. L’âme motrice permet à certains corps de se mouvoir. L’âme intellective intéresse le genre humain et dépasse par sa complexité les autres typologies.

On peut en conclure chez Aristote, de toutes les âmes, quelles qu’elles soient, qu’elles sont animées par une poussée de réalisation d’inégale valeur, optimisée selon l’appartenance au genre du corps dont elles ont possession.

Chez l’animal et le végétal, la faculté de perforer la gangue structurelle qui l’anime est impossible sauf à être l’objet de contraintes extérieures. S’entend ici, des modifications dues à des changements majeurs de l’environnement. Elles peuvent être physiques, chimiques, conséquences d’une mutation environnementale. Dans son acceptation générale, il conviendra de considérer ces âmes comme totalement naturelles.

Le cas de l’homme est tout autre selon Aristote. Son âme appartient aux 4 types, le dernier n’étant propre qu’à lui. Les trois premiers le hissent au même rang que les autres alors que le quatrième le singularise à l’extrême. C’est cette singularité qui intéresse notre réflexion. L’homme est doté d’une intelligence, d’un langage complexe, d’un imaginaire, d’une capacité de croire, auxquels on peut ajouter une structuration psychique propre. Là réside son potentiel à s’écarter de l’ordre naturel, une possible atteinte à sa survie.

L’homme possède donc un langage, support symbolique tangible pouvant rendre compte des autres caractéristiques propres à son espèce. Nous savons de ce langage, qu’il est une somme de signe ayant plusieurs supports ( écrit, verbale, gestuel, olfactif, artistique, etc..) , il sert à l’expression et la communication de ces pensées avec les autres membres de son espèce. Ce langage entre en partage par la soumission à des règles communes (syntaxes) et la volonté de transmettre du sens (sémantique). Ce langage, l’homme semble l’emprunter au pot commun, bien qu’individuellement, il tisse des liens privilégiés avec certains mots (signifiant maître) comme autant d’ancrage du sujet le définissant face à la complexité du monde.

Les mots sont pour lui vecteur de sens, il entre de la sorte en dialectique avec son environnement. Ses productions individuelles ou collectives impactent et rivalisent avec la nature ; il ne s’en inspire pas seulement, il la modifie. Nous parlerons d’artéfact pour distinguer ce qui est produit au-delà de son corps, par le canal du langage reflet de l’activité de son intelligence et de sa sensibilité, et de psychosomatie comme effet d’une structure de langage liée à sa vie psychique sur le corps.

L’articulation de cette dernière notion au langage, souligne la présence d’une autre instance langagière : L’ Autre comme le secret des signifiants chez Lacan.

Pour étudier l’espèce humaine dans ses rapports à la problématique de nature / contre nature, nous devons envisager ce qui, des vestiges de son passé et des produits issus de sa dynamique contemporaine, entrent en partage. S’il y a une tendance à la contre nature, nous devrions pouvoir mettre en évidence, à travers les deux phénomènes, l’artéfact et la psychosomatie, une tendance à l’anéantissement du groupe et du sujet.

Il ne s’agit pas ici de plaider de la moralité de tel ou tel acte mais simplement de mettre en lumière les éléments qui du groupe humain ou de l’individu le conduise à sa perte, à son délitement. Partons du postulat suivant : Ce qui est contre nature est ce qui nuit à la poursuite de la vie.

La notion d’artéfact sera abordée succinctement d’introduire une réflexion à venir. La notion de la psychosomatie sera quant à elle développée dans un autre article.

Exemples d’artéfacts :

-Artéfact positif scientifiques :

Au-delà de la symbolisation, le réel campe. L’irrésistible besoin de comprendre prendrait naissance à ses abords. L’aventure humaine ne nous enseigne t ‘elle pas à combler le vide de la connaissance et soigner la plaie du narcissisme blessé de l’humanité?

Le temps où émerge le génie, ne peut être que le moment précurseur et transformateur d’une vision ancienne du monde vers une nouvelle plus féconde et garante d’un dépassement civilisationnel. Ne dit-on pas des scientifiques qu’ils ne découvrent que ce qui « est », qu’ils n’inventent pas. Mais s’ils n’inventent pas, nous peuvons reconnaître au génie, la faculté tout au moins de poser les jalons d’ une voie nouvelle sur la base des concepts existants. Ainsi Nous dépassons de temps en temps les acquis civilisationnels. Le concept d’émergence vient étayer cette idée, elle postule au départ que le monde est constitué par des degrés d'organisation/intégration. Leur nombre n'est pas prédéfini, on suppose donc N niveaux d'organisation dans le monde. Pour comprendre l'émergence, il suffit d'admettre que le niveau N+1 est constitué par les éléments du niveau N, lorsqu'ils s'organisent ensemble. Il suffit que les ensembles constitués par cette organisation de complexité supérieure soient stables et qu'ils aient des propriétés propres (différentes de leurs composants de type N).

Artéfact politique 1 :

Scabreuse, simpliste et radicale, la guerre participe, dans une certaine mesure et sans masquer son caractère morbide, à une redistribution, « une nouvelle donne ». Le recours à la guerre n’engage pas nécessairement un changement de paradigme.

La guerre permet la reprise du paradigme dominant débarrassé des interrogations autour de sa légitimité.

Artéfact politique 2 :

Le conservatisme, défini comme un attachement aux valeurs actuelles, ne supporte pas l’émergence du nouveau. Cependant les sociétés se réclamant ou se rapprochant de ce modèle idéologique, produisent au cours du temps une forme d’évolution et se réclament du progressisme. Pour autant, il ne s’agit pas ici du progrès dont a tant besoin l’humanité mais d’une sorte de complexification des ramifications opérant sur la base des connaissances en vigueur. Chaque valeur produit des caricatures d’elle-même allant jusqu’à confiner au fascisme.

La pulsion de mort nous vient en aide pour définir le concept de nature / contre nature. Ici, elle donne un sens et un éclairage nouveau à l’évolution de la vie et à ces périls (au delà du principe de plaisir).

Tant que les signifiants existent, tant qu’ils s’accumulent près du socle commun d’une civilisation, il y a de la vie. L’arrêt, ou ce qui peut freiner l’émergence de nouveaux signifiants, sont autant de signaux d’un danger imminent, d’une hypothétique mort. Le processus de symbolisation ne peut être considéré comme fini. Il est l’empreinte de la vie, la marque de la continuité du genre humain, le récit de son savoir, de son histoire, de ses mouvements. Comment pourrions-nous qualifier sa trajectoire, ses déplacements dans le temps et l’espace? Quel devenir peut on lui supposer ? La question reste ouverte.

Une symbolique vouée à un constant renouvellement de ces termes par le principe d’exploration et de dépassement de ces acquis, semble le mouvement principal qui la caractérise. Cependant on peut voir apparaître parfois des pans entiers d’un monde symbolique nouveau, Ils portent en germe la puissance du vivant, le renouvellement de tous les termes, et participe dés lors à l’architecture du nouveau socle commun, ils deviennent des signifiants maîtres pour un temps. Parfois, le mouvement constant qui l’anime, ne trouve d’autre issue que la dégradation des ces termes originaires. On voit apparaître, alors, dans les mondes déjà définis une myriade de compositions, toutes aussi surprenantes, que s’il s’agissait de nouveautés à part entière. Le leurre est bon, il se substitue aisément à ce besoin de renouvellement qu’exige la vie. A l’œuvre dans ce cas, une action contraire, une pulsion morbide qui se substitue par le jeu de l’illusion à la tendance au mouvement perpétuel et régénérateur. En ajoutant à l’ancienne matrice une nouvelle complexité, la pulsion de mort entretient l’illusion d’un mouvement progressiste et porte l’annulation de l’énergie vitale. Le mouvement n’est plus alimenté par du nouveau mais ne doit son déplacement qu’à son élan, jusqu’à l’arrêt complet. C’est bien cette force d’inertie qui produit l’illusion du mouvement perpétuel et de la grande marche du progrès. Son arrêt, si on peut parler d’arrêt, semble se faire aux dépens des sources de vie.

Le désir d’évolution n’est cependant pas un désir commun à tous les hommes ; on retrouve encore dans les tribus les plus primitives, encore intacte, une absence profonde et assumée de ce désir. L’évolution produit la mort de cet état d'inertie.

Il semble que le progrès tend à écarter et dissoudre les autres modes de vie que l’homme a su développer tout au long de son existence. Le progrès tend à s’imposer comme l’unique moyen de vie sur terre pour notre espèce, l’homme sera t-il en mesure de dompter les dangers auxquels le confronte cette soif de changement ? Quelles qualités lui faut il développer pour prendre en main sa destinée sans qu’il en pâtisse.

LIEN :

QUE NOUS ENSEIGNE L'ETUDE DES LIMITES ?

" Où s'arrête la Limite ?"

Hassan MAKAREMI

La question de la limite, de la frontière, du voisinage, du hors de portée, de l'au-delà... du point de vue psychanalytique, peut être expliquée via les cinq éléments clés : la vie, la mort, le Signifiant, le signifié et le Phallus.Ensuite, la limite de notre expérience : le réel, nous interpellera. " En effet, nous n'avons pas à nous en étonner, le réel est à la limite de notre expérience.", dit J. Lacan, dans le séminaire IV page 31.Partons à la recherche des limites, dans différents champs de nos connaissances et de nos savoirs à ce jour, en quête des signifiants " limite" dans la profondeur du temps, de l'espace, de l'univers, de la vie, de l'Homme, du sujet parlant, du corps, de la psyché, du possible..

Partir sur des relations entre le signifiant, le signifié, la vie, la mort, et le rôle du phallus pour comprendre les champs de chacun et leurs interférences. Comment, à partir de cette limite, " la mort ", le support du signifiant peut-il exister? Finalement nous ne pouvons pas échapper à cette question :" Hors de la "limite du signifiant", l'identification d'une autre "limite" est-elle possible?"

Jacques Lacan, au sujet de S. Freud, nous précise, je cite le séminaire IV page 48: "C'est très certainement ce que Freud nous a apporté sous le terme d'instinct de mort. Il s'agit de cette limite du signifié qui n'est jamais atteinte par aucun être vivant, ou même, qui n'est jamais atteinte du tout, sauf cas exceptionnel, probablement mythique.…". Commentons cette phrase et d'abord que veut dire le signifiant? Une image acoustique, l'origine du langage, ce qui fait que le refoulement originel peut exister.

J. Lacan, dans Ecrits, page 575 : " La chaîne signifiante aété inaugurée par la symbolisation primordiale."

S. Freud espère trouver ce qui est psychiquement inné via la procédure analytique, via la sortie des signifiants ; je cite Freud dans l’interprétation des rêves : " Nous pouvons espérer parvenir, par l'analyse des rêves, à connaître l'héritage archaïque de l'homme, à découvrir ce qui est psychiquement inné…...". L'analyse des rêves en écoutant le discours du sujet : voilà, d'après Freud, l'outil de fouille archéologique pour aller jusqu'au plus profond de l'humanité, aller où il n’existe aucun autre outil que la dimension symbolique : les signifiants nous le permettent. Au-delà des signifiants, il y a des lettres, des chiffres, des symboles purs qui seront le sujet d'une autre recherche, comme l'importance des lettres dans le rêve d'Irma de Freud ou l'utilisation des lettres ou des chiffres symboliques dans les textes sacrés.

La relation entre le signifié et le Signifiant a été présentée par J. Lacan comme S/s. On dit que pour un signifiant S, il y a plusieurs signifiés chez des sujets différents ainsi que pour le même sujet à différents moments. Mais il n'y a qu'un signifiant qui peut avoir le même signifié pour tous et à tout moment : la mort comme non retour, la mort définitive, il n'y a pas d'autre interprétation possible.J. Lacan, séminaire IV, page 48 nous précise: " Ce qui au fond de l'existence du signifiant, de sa présence dans le monde, nous allons le mettre là dans notre schéma, comme une surface efficace du signifiant où celui-ci reflète, en quelque sorte, ce que l'on peut appeler le dernier mot de signifié, c'est à dire de la vie, du vécu, du flux des émotions, du flux libidinal. C'est la mort, en tant qu'elle est le support, la base, l'opération du Saint-Esprit par laquelle le signifiant existe."

Où s'arrête le signifié? Comme précise J. Lacan : "cette limite du signifié qui n'est jamais atteinte par aucun être vivant ou même, qui n'est jamais atteinte du tout, sauf cas exceptionnel, probablement mythique...» Sachant que pour certaines expériences dans ce monde, les mots manquent. "Le rapport sexuel est impossible", ou, sa mise en signifiant est impossible, comme la jouissance de l'autre. Je reviens vers Lacan et les cas d’exceptions: " cette limite du signifié qui n'est jamais atteinte par aucun être vivant ou même, qui n'est jamais atteinte du tout, sauf cas exceptionnel, probablement mythique ". On peut d'ores et déjà parler des différentes catégories d'expériences : les mystiques, les sujets ayant vécus l'expérience de mort imminente EMI / NDE, les prophètes, les sujets ayant des hallucinations (illusion, hallucination, état fiévreux), les sujets drogués, les sportifs de haut niveau, les revenants d'un état comateux, certains cas d'hypnose, d'état second. Ils disent tous qu'ils ne sont pas capables de bien expliquer leur expérience par les mots, ce qui rend l'accueil de leur parole et éventuellement l'interprétation de celle-ci très difficile.

Le point commun des Prophètes, des mystiques et des psychotiques est que le lien entre le signifiant et le signifié est rompu. Pour le psychotique, la chaîne du parler se présente sans limite et sans vectorisation. La psychose fait perdre le lien entre la cause et l'effet, les signifiants se coupent de la réalité. Quelle est la limite entre délire et non délire ? Le délire du névrosé, qui sait qu'il délire car le découpage signifiant- signifié est toujours là, d'une part, et le délire du psychotique et les discours des mystiques et prophètes qui n'ont pas de doute car le Signifiant est devenu réel, d'autre part. Ainsi les deux témoignages, dans la Bible: "Au commencement était le Verbe" et dans le Coran: " Soit et il devient".

La métaphysique rend la mort flottante, non certaine, la fait reculer, la fait inventer. Elle fait inventer les concepts comme la vie après la mort, l'âme, l'esprit, la réincarnation. Pendant la période de l'adolescence, l'hésitation sur les questions fondamentales, sur la vie, sur la mort, d'où je viens, à quoi ça sert…, l'effet de la recherche d'identité, relèvent d'une part de cette relation du lien entre des signifiés, des concepts et d'autre part de l'identification, de l'effet du signifiant ou du? nom du père.

Quelques mots sur la formation de l'inconscient et sur le rôle du Phallus.

Castration: Découverte de la limite

Frustration Privation

Privation : découverte des champs du manque

Frustration : découverte des champs de l'existence

J. Lacan précise: " le phallus est le symbole d'un objet imaginaire".

La Castration : manque symbolique d'un objet imaginaire ( ex: manque symbolique du phallus comme d'un objet imaginaire) selon J. Lacan: "la castration est la soumission du sujet au signifiant." Pour le nommer, donner un signifiant, mettre en évidence la vie. (?)

La Frustration : manque imaginaire d'un objet réel (ex. : j'ai l'impression que je manquerai d'oxygène…).

La Privation : manque réel d'un objet symbolique (ex. : être privé du tissu de la robe de la mère).

Le phallus, cette différence qui fait la différence :

Phallus

Mère Enfant

Le Phallus est donc le signifiant qui n'a pas de signifié.

Notre expérience et sa limite : le Réel, quelques exemples.

1 - Malgré la définition claire de la structure - névrose, perversion et psychose, nous trouvons l'état limite,... : situation limite, patient limite, limite d'analysable, limite entre des structures, limite entre pathologie et non-pathologie, à tel point que dans SDM IV, l'association des psychiatres américains ne donne pas un nom pathologique précis, mais propose ? un lien entre les traitement et les symptômes.

2 - Pour l'Homme, lequel de ces signifiants est le plus juste? Individu, sujet de désir, personne, citoyen, moi, prénom + nom ou nom de famille, conscience de soi, être social ou d'après S. Freud, être de frontière. Quelle limite peut-on lui donner pour le designer ?

3 - Réalité interne et réalité externe : frontière du corps.

Inconscient

Corps

Conscient

Préconscient image inconsciente du corps

J. Lacan :" Le corps fait le lit de l'Autre par l'opération du signifiant".

L'Inconscient est structuré comme un langage. Cette structure définit la typologie de l'organisation fondamentale des signifiants. La formation de l'inconscient pendant la vie d'un sujet, comme un système qui fonctionne avec les signifiants, lie l'inconscient avec deux éléments de base à l'extérieur : le corps et le conscient. L'inconscient est structuré comme un langage et "A" est le trésor des signifiants, car s'il était structuré sur les signifiés, il variait pendant la vie d'un sujet ; la base le plus solide est le nom du père, un signifiant non changeant, qui fonde l'identité du sujet.

4 - La vitesse de la lumière : la limite admise des sciences (physiques) est la vitesse de la lumière, momentanément acceptée comme la base de calculs, des théories, des hypothèses, ainsi que de nos imaginations. A ma connaissance, il n'y a aucun scénario, ni film, ni production artistique, qui développe le moment de la traversée de cette limite de la lumière, mais il y a des exemples pour illustrer le moment d'arrivée à cet au-delà de la vitesse de la lumière. On imagine l'avant, l'après, mais pas le pendant.

5 - Quelques exemples de l'effet de frontière et de la limite dans le champ social :

5.1 - Le clonage comme la limite de l'individu. C'est la première fois que cette

deux personnes physiques sont le même individu avec la même définition de lien entre les générations. Autrement dit, le clonage casse la limite de l'autre, la chaîne de générations, père - enfant, frère et sœur, la question du vivant et de la mort, nom du père, et la place dans l'espace - temps.

Le clonage est au bout d'une chaîne des tabous dans notre histoire : toucher le corps de l'autre par un autre qu'un membre de la famille, le voir nu, l'autopsier, greffer des organes, écouter l'intimité, les autres, et leurs rêves, greffer un organe issu d'un clone et finalement cloner l'être humain. Le problème de base n'est pas chaque nouvelle étape, mais de savoir pour quelle raison, pour quelle utilité, quel objectif. La question de base est comment arrêter la procédure? Comment modifier le tir? Jusqu'à maintenant, nos expériences individuelles pour aller au seuil de nos limites étaient des seuils individuels, limites de l'être humain : des exemples dans le cirque, l'expérience limite de la solitude, les jeux olympiques, les voyages dans l'espace. Ces expériences étaient bien vues par nous, mais le clonage est une affaire collective.

5.2- Chosification de la mort : sans entrer dans le détail, je vous fais remarquer que, au retour de l’expérience des camps de concentrations, le discours, la mise en parole, deviennent impossible pour les sujets.

5.3- Les experts juridiques, dans leurs rapports utilisent moins de cent signifiants bien identifiés, à la limite des mathématiques ; plus le jugement se rapproche des cas graves, plus les signifiants deviennent précis.

5.4 - Phénomène de lutte contre la frontière : médecins du monde, médecins sans frontière. D'une part, la globalisation, d'autre part, l'absence de frontière, deux camps qui se battent. Pourtant tous deux parlent de suppression des frontières.

5.5 Limites de l'Europe : je cite Le monde du 5 janvier (ANNEE ), Casanova, au sujet de l'Europe et de la Turquie: "… on voit bien là pourquoi la question des limites mène à celle de le nature de l'Europe…".

5.6 Argent : un signifiant bien quantifié, qui dit toujours la même chose, peut devenir le Dieu de la mondialisation d'un côté et la vie sans frontière de l'autre. Hélas le choix de l'argent est plus simple. Exemple : le Dollar et l'Euro à la place d’un projet social commun. Car comme nous dit Tolstoï en préface de son livre Guerre et Paix, je cite de mémoire: « Je me demande pourquoi les méchants se réunissent plus facilement que les bons ». L'argent est plus palpable, plus concret que la vie : contraire de la mort.

6- Limite et mathématique:

A I I I I B

1/2+1/4+1/8+1/16….= a

1/2+1/2*(1/2+1/4+1/8+1/16….)=a

1/2+1/2*a=a a =1

Pour définir la limite, la théorie mathématique utilise l'infini, un symbole, un signifiant avec autant de signifiés que d'êtres humains.

III - La limite est finalement la limite du signifiant. Prenons un exemple : deux sujets se parlent, la discussion porte sur le sujet "qu’est- ce que l'univers?". Ils ont cent signifiants communs. Leur possibilité de se comprendre et de passer le message est très limitée. Le même cas avec 10000 signifiants communs, donne un autre champ de vision et de compréhension. La quantité de signifiants communs, est le seul élément mesurable des limites. On élargit ce raisonnement, en passant à plusieurs êtres parlants et même à 6 milliards et on ajoute le concept du temps : l'ensemble des signifiants produits et diffusés et compris, alors nous pouvons imaginer le volume du champ large de la limite dans l'avenir. D'une part, le nombre des êtres vivants parlants augmente, leurs communications également ; ils apprennent à parler des langues différentes, ils partagent de plus en plus de signifiants, d'autre part, les signifiants anciens, sont redécouverts par des recherches. Les champs de recherche échangent entre eux davantage de signifiants, les volumes de signifiants en circulation via la technologie moderne (internet) augmentent. C’est le sens définissable du progrès, de l'évolution de l'avancement : élargir la frontière des signifiants, repousser la mort. Une guerre entre la mort et la vie, la vie, la quantité de signifiants.

Total de signifiants

1- Trouvaille des signifiants perdus

2- 7 MM êtres humains vivants aujourd’hui, total 13 MM

3- Augmentation des échanges entre des langues

4- Augmentation de la vitesse de transmission

5- Mémoires écrits permet de conserver davantage des signifiants

6- Signifiants inventés SNCF, RATP, NATO

7- Champs scientifiques, techniques… 4 mots pour un nom d'insecte par exemple ...

Temps

La sagesse sublime.

Anne-Gaëlle Burban, novembre 2012

Partons de l’idée que la sagesse individuelle se construit avec et contre la sagesse collective transmise depuis que l’être humain est capable d’émettre et de recevoir des symbolisations. D’une certaine manière le langage est perçu alors comme vecteur de cette sagesse ancestrale et permet de juguler certains passages à l’acte qui se verront plutôt sublimés par la symbolisation. Cette symbolisation a pour fonction de présentifier pour le plus grand nombre des perceptions émotives intimes. Le périmètre ou plutôt la lisière nature/contre-nature se trouverait donc dessiné par les mots, la musique, l’art, la poésie, la danse, les mathématiques et la production plus personnelle de symptômes, fantasmes…

Avant d’aller plus loin, il me semble important de tenter de définir certains termes clefs de cette problématique. Dans un premier temps, nous nous demanderons qu’est-ce que la sagesse ? Est-ce l’homme sublimé ? Comment dialogue-t-il avec les instances idéales (idéal du moi et moi idéal) ? Quelles-sont les interactions entre l’intime et le public, l’individuel et le collectif ?

Nous verrons également en quoi le langage et l’inconscient occupent un rôle primordial dans l’individuation du sujet au sein d’une société donnée.

Enfin, nous pourrons établir et analyser les impacts de ce qui du point de vue de la psychanalyse est de l’ordre de la nature et ce qui relève de la contre-nature chez l’Homme.

Le concept de sublimation provient en fait de la sexualité : il répond à la nécessité d'expliquer que des contenus manifestes non sexuels (par exemple des œuvres scientifiques ou artistiques) ont pourtant leur source dans la sexualité inconsciente et tirent leur force d'expression de la libido.

Qu’est-ce qui est sublimé ? L’agressivité, la sexualité primitive, les désirs refoulés, c'est-à-dire tout ce qui compose l’inconscient et nourrit ses manifestations.

Voici la définition de la sublimation que donne le Dictionnaire de la psychanalyse et de la micropsychanalyse : « une pulsion sexuelle ou agressive, inhibée quant au but, voit son objet-but désexualisé ou désagressivé et valorisé socialement, en particulier culturellement. » (Fanti, 1983, p. 107). On comprend ainsi que la sublimation se fonde sur une élaboration secondaire complexe. Elle résulte d'un travail qui se déroule essentiellement au niveau préconscient. Les nécessaires transformations que subit le potentiel agressif inconscient pour permettre la dimension sociale de l'individu mettent en valeur le rôle de régulateur du préconscient. Concrètement, la sublimation est un processus transformant quelque chose qui est bien caractérisé au niveau inconscient — quelque chose qui est typique de l'agressivité ou de la sexualité — en quelque chose qui ne l'est plus au niveau manifeste.

Cette localisation de la dynamique de la sublimation au niveau du préconscient permet d'ores et déjà d’avancer l’hypothèse que chaque sujet porte en lui une parcelle de sagesse collective lui permettant de transformer ses pulsions agressives inconscientes en productions symboliques sociales.

Mais comment se forme cette barrière préconsciente ? L’individu dans l’histoire de sa structuration psychique a-t’il une responsabilité, un pouvoir ou tout simplement peut-il jouer un rôle actif ? Ou au contraire, est-ce que tout est hérité de la culture héréditaire par le langage ? Quel est la marge de manœuvre de chacun pour jouer avec ses déterminismes sociaux ? Autrement dit, tout est-il joué avant 5 ans ou peut-on espérer continuer d’évoluer après ? Quid des grands, moyens et petits délinquants, meurtriers et autres acteurs du passage à l’acte ? D’ailleurs ne sommes-nous pas tous des petits délinquants lorsque plus ou moins consciemment nous continuons de consommer sans recycler, lorsque nous roulons sans nous pré-occuper de notre empreinte écologique… ? Leur sort, notre sort est-il noué à jamais ?

Que peut faire la culture, la sagesse commune et la citoyenneté ou encore la psychanalyse pour nous aider à développer notre capacité de sublimation ?

Freud dans son ouvrage Malaise dans la culture paru en 1930 affirme notamment que selon lui :

la culture est édifiée sur du renoncement pulsionnel, car la vie en commun suppose une restriction de la liberté individuelle ou le conformisme;

le respect des exigences sociales est assuré par le père puis par le « surmoi » (père intériorisé, faculté à s'auto contraindre, conscience morale) ; la tension entre le « ça » (principe de plaisir) et le « moi » (principe de réalité), entre l'égoïsme (amour de soi) et l'altruisme (amour d'autrui), est source du sentiment de culpabilité et de la conscience morale ; ces exigences sociales se manifestent dans la morale et dans la religion y compris dans la beauté, la propreté et l'ordre : ces discours tentent de légitimer et d'assurer le renoncement au plaisir égoïste.

Partisans de l’intelligence créative, faisons le pari que la sublimation peut s’apprendre, se sculpter et même parfois nous guérir en nous libérant de schémas répétitifs (créaticides) en dévoilant les causes inconscientes de l’agressivité humaine. Comparable à une excitation négative et destructrice, cette pulsion de Thanatos est commune, et se construit pour chacun sur des vécus mémorisés et intériorisés depuis la plus tendre enfance, qu’il s’agit d’exprimer pour s’en délivrer (ou du moins en neutraliser la puissance destructrice). Tous les vécus ne sont évidemment pas mémorisés. Pour être refoulé et intériorisé, un vécu doit être particulièrement intense, répétitif ou conflictuel ; par exemples, telle expérience de satisfaction orale se mémorise parce qu'elle interagit avec des fantasmes narcissiques et provoque une vive sensation de plénitude, tel vécu de castration parce qu'il est conflictuel au point d'engendrer des représentations d'annihilation.

Revenons un instant sur l’histoire de cette notion de sublimation. Dans les Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Freud considère la sublimation comme une des trois voies d'élaboration et de décharge de la sexualité infantile refoulée, trouvant place (chez l'adulte) à côté des voies névrotiques et perverses. Dans Pulsions et destin des pulsions (1915), il en fait un destin pulsionnel, au même titre que le renversement dans le contraire, le retournement sur la personne propre et le refoulement.

Dans Le moi et le ça (1923), on trouve un modèle de sublimation de la libido. Il se fonde sur l'identification et a pour pivot le narcissisme. Les objets des pulsions sexuelles sont intériorisés (= identification), ils deviennent ainsi des composants désexualisés du moi et sont investis en tant que tels (= investissement narcissique). En conséquence, le ça aime désormais le moi comme il désirait sexuellement les objets externes. La libido narcissique peut dès lors se déplacer et investir des objets non sexuels et culturellement valorisés. L'énergie du moi est « une libido désexualisée [dont] on peut dire également qu'elle est de l'énergie sublimée, en ce sens qu'elle fait sienne la principale intention d'Eros qui consiste à réunir et à lier... » (p. 217).

Plus tard, pour Mélanie Klein la sublimation de l’agressivité s'ancre dans la position dépressive et permet, à travers des symbolisations et des mises en fantasmes, de réparer l'objet détruit par les pulsions sadiques. Relevons en passant un aspect de la pensée kleinienne particulièrement intéressant pour qui s’intéresse aussi à Lacan (à son séminaire sur l’Angoisse notamment) et à la sublimation du vide (plus précisément d'un manque créé par le signifiant). C'est le vide créé par la destruction de l'objet qui suscite l'angoisse poussant à la sublimation réparatrice, soit l’équation:

manque ou destruction de a - sentiment de Vide - angoisse - sublimation réparatrice

Winnicott prolonge les vues kleiniennes par une large prise en compte de l'environnement : selon lui, la sublimation s'enracine dans les phénomènes transitionnels qui, lorsque la mère est suffisamment bonne, permettent à la créativité de l'enfant de réparer ce que ses pulsions agressives ont endommagé ou détruit.

C’est aussi ce que souleva Sabina Spielrein dès 1913 dans son article intitulé « La destruction comme cause du devenir » paru in internationale Zeitschrift für Artzliche Psychoanalyse, I.

Aujourd’hui, comme le souligne Daniel Lysek (Bollettino dell'Istituto Italiano di Micropsicoanalisi , n° 22, Turin, Tirrenia Stampatori, 1997), la véritable sublimation, telle que l'entendent les psychanalystes, garde toujours un lien avec le dynamisme pulsionnel qui est à son origine ; même lorsqu'elle en paraît fort éloignée, une manifestation sublimée reste en permanence alimentée par la poussée pulsionnelle originaire.

A ce stade, on pourrait alors avancer que la sagesse collective encourage le manque et l’angoisse comme condition naturelle et nécessaire à la survie de l’espèce Humaine. Au contraire, à l'échelle d'un sujet, le manque de manque serait la chose contre-nature par excellence.

Ceci dit, le renoncement ne peut pas intervenir trop tôt, il doit être le fruit d’une connaissance profonde de la cause et laisser place à une liquidation raisonnée par le côtoiement des limites. Ce sont les limites qui nous enseignent la vie. Ceci n’est valable que pour le sujet. Le groupe a ces prophètes et autres explorateurs pour l’instruire. Le groupe peut-il d’ailleurs prendre les risques encourus par un individu seul ?

Brider, séduire Thanatos (au sens étymologique se-ducerer : conduire à soi, détourner de son but premier) sans chercher à le tuer. Par quelle alchimie peut-on réussir à sublimer profondément Thanatos en Eros sans engendrer de conflits inconscients? Où cela doit-il se passer, dans quel topique : conscient ? Préconscient ? Inconscient ? Comment pouvons-nous agir ? Comment la nature a-t’elle réussi à combiner tant bien que mal cette dialectique sexuelle entre Eros/Thanatos tout en préservant l’espèce et en permettant à l’humanité de continuer à évoluer ?

Pour aller plus loin, permettez-moi alors ce syllogisme digne d’une vérité de La Palice:

Tous les Hommes sont agressifs, en manque et désirants,

or tous les sages sont des Hommes,

donc tous les sages sont agressifs, en manque et désirants!

Autrement dit, ce qui compte, c’est surtout ce que l’on va en faire de cette agressivité primaire, de cette pulsion de mort ou de cette angoisse. Comment pouvons-nous parvenir à la manager pour qu’éclose autre chose, une chose qui porte en elle la même puissance mais dont l’objet-but a changé et s’est converti positivement et sans dommage collatéraux? Et comment être certain de ne pas (se) causer de mal-être névrotique ? Car quand la sublimation échoue, le potentiel pulsionnel se transmute et se fixe en symptôme psychique ou psychosomatique.

La réponse réside-t’elle dans la névrose individuelle agissant comme une véritable calotte universelle devant les grands interdits (mort, inceste) et l’angoisse sociale du retrait d’amour?

C’est en tout cas vers cette réponse que s’achemine S. Freud dans son ouvrage Totem et Tabou.

Sommes-nous condamnés à vivre avec notre névrose pour survivre socialement ? Si oui, comment parvenir à transmuter nos pulsions inconscientes en productions créatives évitant ainsi l'élaboration névrotique défensive, ou la décharge perverse?

Comme le disait Michel de Montaigne dans ses Essais, comment vivre à propos ?

Soit dit en passant, parmi les effets d'une analyse, l'ouverture à la sublimation occupe une place non négligeable. En effet, la talking cure comme aimait l’appeler Anna O. permet cet in-out, cet aller retour et ce déplacement d’une strate à une autre.

En effet, le langage est une des clefs, la symbolisation un autre pivot pour incarner une voie de décongestion artificielle, cathartique et salvatrice permettant de nous rapprocher de notre désir et de sa cause, en l’objet a.

Dans le chapitre sur les causes du désir, dans son séminaire sur l’angoisse, Jacques Lacan nous dit p. 121 : « c’est la notion d’un extérieur d’avant une certaine intériorisation, qui se situe en a, avant que le sujet, au lieu de L’Autre, ne se saisisse dans la forme spéculaire, en x, laquelle introduit pour lui la distinction du moi et du non moi. »

La psychanalyse est-elle alors contre nature, dans le sens où Sasha Guitry disait qu’il était contre les femmes, tout contre ?

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: OCTOBRE ET DÉCEMBRE 2012

Point de départ :

La question, "est-ce la sagesse collective ou la sagesse individuelle, qui peut permettre de définir le périmètre nature/contre-nature ?" m'amène plusieurs réflexions au sujet de la sagesse individuelle.

Mon hypothèse : la sagesse individuelle passerait par le fait d'assumer son désir de puissance (ou volonté vers la puissance?) et d'assumer les castrations et limitations corrélatives. Comme si sa propre castration symbolique pouvait valoir en tant que référence des références, ou valeur des valeurs, notamment si elle est "croisée" avec les castrations symboliques des autres...

Cette notion de castration symbolique sera donc à définir, de même que celle de désir de puissance/ volonté vers la puissance.

La notion de castration :

La notion de castration pour Lacan est plus volontiers utilisée que celle de complexe de castration. Définie « comme étant une opération symbolique qui détermine une structure subjective »[1].

La structure subjective, singulière serait le résultat de l'opération symbolique, qui porte sur le phallus, non pas en tant qu'objet réel, mais imaginaire.

« L'enfant, fille ou garçon, veut être le phallus pour capter le désir de sa mère (c'est le premier temps de l'Oedipe). L'interdiction de l'inceste (deuxième temps) doit le déloger de cette position idéale du phallus maternel. Cette interdiction est le fait du père symbolique, c'est à dire d'une loi dont la médiation doit être assurée par le discours de la mère. Mais elle ne vise pas seulement l'enfant, elle vise également la mère et, pour cette raison, elle est comprise par l'enfant comme castrant celle-ci. »[2]Nous pouvons entendre qu'une castration serait corrélative d'une autre structurellement, dans la relation première à l'objet d'amour.

Au troisième temps, « intervient le père réel, celui qui a le phallus (plus exactement celui qui, pour l'enfant, est supposé l'avoir), celui qui, en tout cas, en use et se fait préférer par la mère. »[3] L'enfant, qui a renoncé à être le phallus, va s'identifier au père : peut-être est-ce là qu'intervient la différence des sexes, et les identifications sexuées corrélatives.

Le garçon, renonce à être le phallus, mais aussi à se servir de celui qu'il a qui ne fait pas « le poids », ajournant dans le temps cet usage. Le déplacement par rapport à l'objet premier restera encore à opérer plus tard, la tentation de retour ou de régression vers la mère se renégociant inconsciemment à l'adolescence, aux prises que le sujet est, avec l'identification au père notamment.

La fille renonce à être également le phallus de la mère, puis renonce à avoir le phallus du père ; reste la troisième opération qui serait le renoncement à la tentation d'être le phallus du père.

A ce prix, l'acte sexuel avec un autre sujet deviendrait alors possible.

Ces étapes ne pourraient-elles se résumer dans un rapport à l'être et à l'avoir (le phallus), sans cesse transitoire et renégocié dans la relation à l'autre, qu'il soit le père, la mère, ou leurs substituts par la suite ?

Entendons substituts au sens où ils reprennent des traits imaginaires, symboliques et/ou réels, de nos identifications premières.

Ne pas être le phallus ou ne pas être l'objet du désir de l'autre, ne pas être l'objet qui lui manque.

Ne pas avoir le phallus ou ne pas « s'en prétendre le maître »[4].

Ce « ne pas » renverrait-il à un acte de conscientisation, de renoncement actif et symbolique, toujours à réopérer dans cette dynamique structurale (inconsciente, pour partie au moins) qui se plaquerait sur chaque relation humaine investie ? Et peut-être même simplement dans le rapport de soi à soi-même ? Qui passerait dès lors par une séparation, une division.

Cette notion de séparation nous la retrouvons à maintes reprises dans un ouvrage de Denise Morel, intitulé « Psychanalyse et cancer ».

Une de ses hypothèses majeures s'énonce ainsi : le sujet souffrant du cancer « nous offre un témoignage ouvert de son non-accès à la castration symbolique »[5].

La notion de transitivisme illustre bien cette castration symbolique non opérante : quand l'autre est atteint dans son corps, imaginairement je suis atteint(e) par le jeu du miroir. « Je suis si proche de mon enfant que ce qui le touche me touche - et, comme le rappelle D. Morel, nous sommes tous les enfants de quelqu'un, (…) nous considérons comme nos enfants tellement d'êtres qui ne le sont pas que cette phrase s'applique à nombre de relations »[6]. L'image en souffrance de l'autre viendrait acter à la fois une différenciation et une séparation, parfois difficiles à symboliser, passant par l'angoisse, angoisse de castration (ou de morcellement?).

La personne qui a recours à une somatisation déplacerait cet enjeu de la séparation : plutôt que de la réaliser avec l'autre, elle serait faite avec soi, et son propre corps, ou du moins une partie. Comme si de sacrifier à une atteinte sur son corps allait contribuer à ménager l'autre ou la relation avec lui.

Une autre hypothèse pourrait consister à associer l'idée de nature à celle de corps, de contre-nature à ce que « subit » le corps (maladie, choc, accident, traumatisme, symptôme, moyens de défense contre ce qui lui fait violence ou l'agresse, que ce soit en termes de symptômes posés entre le monde et soi, ou en terme de passages à l'acte). La culture renverrait au travail ou à la discipline que chacun propose à son corps afin de l'assouplir, le détendre, prendre soin de lui, le soigner.

Contre-nature serait alors toute somatisation que le corps subirait.

Voyons ce que déploie plus précisément Denise Morel dans son ouvrage Cancer et Psychanalyse.

1 - D. Morel note qu'une affection cancéreuse n'est rarement dépistée à son début. Régulièrement le symptôme douloureux et visible renvoie vers une tumeur vieille de deux ou trois ans : « c'est donc deux ou trois ans plus tôt dans l'histoire du patient qu'il faut rechercher l'évènement traumatique »[7].

Le traumatisme procéderait d'une représentation impossible, qu'elle soit représentation de la folie, d'une séparation, de la mort, d'une perte d'un être cher, d'un parent, d'un frère ou d'une soeur, ou « irruption d'un imaginaire menaçant une réactivation d'un fantasme oedipien »[8] exposant de fait à la castration.

Peut-être est-ce aussi parce que l'évènement traumatique atteint l'autre, et pas nous-même, qu'il force d'autant plus notre imaginaire et nos capacités à nous représenter, cet événement ? Et nos capacités à le délimiter. La perte ou la transformation de l'image du corps de l'autre serait un événement qui forcerait les portes de notre imaginaire. « Le sujet trouve l'issue somatique cancéreuse, lorsqu'il ne peut soutenir que sa relation à l'être aimé (conjoint, enfant, parent ou ami) soit en prise directe avec la mort, avec cette castration ultime et jusque-là irrecevable »[9], qui frappe de manière réelle cet être aimé.

2 - Etre confronté à cette représentation d'une castration, cette fois réelle, donnerait à vivre la menace de castration corrélative à la représentation, et l'angoisse qui l'accompagne.

Les conséquences du traumatisme renvoient au réel de la mort, et plus particulièrement à une angoisse de mort si prégnante - ou angoisse de castration ? - qu'elle concerne l'autre ou soi-même - , si prégnante que la mort finit par apparaître intimement pour le sujet comme « la délivrance des tortures »[10]. Comme si le désir du sujet n'aspirait qu'au soulagement, et à la mort, plus qu'à toute autre chose. La pulsion de mort deviendrait dominante, proportionnellement à la culpabilisation, qui vient parfois empêcher toute forme de plaisir, ne serait-ce que par comparaison avec celui qui souffre, et empêcher également un acte suicidaire, associé fantasmatiquement à un soulagement.

3 - Alors, ainsi que le mentionne D. Morel, « comment reprocher au corps de répondre fidèlement à cet appel au secours? »[11]. La somatisation apparaîtrait alors comme un compromis : plutôt que de céder complètement à la mort (quelque part interdite parce qu'elle ferait violence à d'autres), le sujet concéderait inconsciemment à la mort d'une partie de soi.

4 - La question qui se dégage de ces avancées pourrait être : « pourquoi à un moment donné de son histoire tel organisme ne répond plus par des défenses appropriées ? »[12]Les termes « mécanismes de défense » se prêtant ici à l'équivoque somatique et psychique.

D. Morel évoque l'insécurité profonde des sujets ayant perdu un proche du cancer, mentionnant les mécanismes de défense qui viennent répondre aux fantasmes mobilisés par ce vécu : annulation de « perception dangereuse pour le moi », mode de pensée magique (« ne pas y penser, ne pas en parler surtout »[13] et ça n'arrivera pas), troubles de la perception de son corps, de ses douleurs, de ses émotions, dénégation : autant de processus de scotomisation des perceptions angoissantes, parfois renforcés par l'accord plus ou moins tacite de l'entourage.

L'apparition de la tumeur serait également corrélative d'un retrait narcissique. Le support de tout l'investissement affectif du sujet disparaissant, c'est aussi une fonction de contenant qui disparaît pour lui. Est-ce à dire que le corps du sujet est désinvesti narcissiquement, mais aussi dans les dimensions de plaisir (sensations, perceptions, proprioceptions) associées ? Jouissance aveugle, sans bornes, Autre, plutôt que jouissance phallique de son corps en soi ?

« Le cancer est donc le moyen mis à notre disposition pour authentifier cet imaginaire (rester fidèle à un imaginaire fusionnel) ; c'est une façon (...) de faire crédit à la toute-puissance de l'imaginaire. Sommes-nous si loin du délire psychotique ? La somatisation morbide semble être alors une mise en acte du fantasme (...)»[14]

La différence soi/autre n'existe pas ou est déniée, ne laissant pas la place à la pensée, à la représentation singulière.

4 - Plutôt que de haïr et rejeter le porteur de souffrance/symptôme, le « causeur » de souffrance, en tant qu'objet mortifère, beaucoup trop proche, et en plus déjà endommagé, c'est soi-même qui devient objet de rejet : « il se produit quelque inversion libidinale qui maintient l'être aimé en position de « bon objet », et fait basculer le sujet lui-même dans une position de « mauvais objet » à détruire. (…) L'autre scène du meurtre se déroule dans un décor physiologique. Perceptions et affects se trouvent alors radicalement coupés de la psyché et c'est l'explosion somatique. »[15]. Comme si l'enjeu devenait mourir pour ne pas haïr, mourir plutôt que haïr. Quand l'étranger, l'étrange, l'impensable, la mort, s'emparent de l'autre, c'est ensuite comme si la cellule cancéreuse anarchique, folle, devenait la figure de cet étranger, de cet étrange, de cet impensable, de cette mort. « (… Dans) une réaction d'étayage inversée le sujet incorpore ce cancer extérieur, il prend en lui ce « corps étranger » qui l'agresse et l'absorbe entièrement! »[16].

5 - Haïr ferait entrer en scène la culpabilisation. Plutôt que d'assumer d'être coupable, - donc exclus du mythe familial, du mythe fusionnel, d'un imaginaire qui fait tenir, donne consistance, le sujet prendrait le parti inconscient d'être coupé : coupé d'une partie de lui-même en l'occurrence, coupé de son corps.

Le sacrifice serait celui du corps. Ou d'une partie. Corrélatif du retrait narcissique.

« (…) nous pouvons supposer qu'en détruisant inconsciemment son propre corps par le cancer c'est le corps de l'autre et tout particulièrement le corps maternel qui est visé »[17]ajoute D. Morel. Corps renvoie aussi métaphoriquement vers la notion de groupe, groupe familial avec ses membres, par exemple. Ou couple, autre version du groupe, la plus restreinte, la plus fusionnelle aussi possiblement.

Le sujet souffrant du cancer, s'il témoigne de son non-accès à la castration symbolique, peut-être non-accès temporaire, témoignerait d'une tentative de métaphorisation d'un corps fusionnel en souffrance.

Ou en tout cas, tentative de symboliser quelque chose de la mort.

Cette symbolisation apparaît comme une formation de compromis, aux prises avec la culpabilisation confuse en jeu. Symbolisation au ras du corps, et même dans, et par, le corps, au travers d'un symptôme somatique.

Ce progrès, malgré nous.

Anne-Gaëlle Burban, mars 2013

La dialectique de nature/contre-nature induit la question de la continuité et de l’évolution de l’espèce humaine dans son milieu. Cette écologie in progress n’a de cesse de nous balloter entre un devenir, nous faisant déployer des trésors d’ingéniosité pour nous adapter aux contraintes et aux mutations qui viennent, bien souvent, des conséquences de notre gestion socio-économique de notre présence au monde.

Au vu des avancées technologiques, sociales, artistiques, intellectuelles, peut-on parler de progrès de l’humanité? Et si oui, comment définir cette notion (et pourquoi pas cette motion)? Pourquoi sommes-nous devenus ce que nous sommes ?

Ce qui est certain, c’est que ce qui nous fait aller en avant, aller plus loin pour avancer*, nous procure tantôt, jouissance, mais aussi manque, insatisfaction et frustration. Ce petit gout de « reviens-y », cette blessure narcissique de l’humanité, cet objet petit a, autrement appelé la chose Freudienne, nous meut dans une perpétuelle fuite en avant et dans un état d’attente qui nous aliène à la réponse de l’autre (c’est le discours de l’hystérique : dH). Autrement dit, c’est l’angoisse nécessaire et existentielle qui nous maintient en vie depuis des millénaires.

C’est un peu comme si nous, animaux dénaturés et Sisyphiens, marchions dos au soleil et que nous cherchions à recouvrer inlassablement notre ombre. Cette image rejoint aussi celle de l’inaccessible étoile que les poètes chantent parfois mélancoliquement comme une utopie dont il ne faudrait, finalement, surtout pas faire le deuil.

De cette marche en avant, nait des langages, ambitions, curiosités, solutions créatives, innovations qui nous éloignent superficiellement de notre état de nature. Superficiellement, car l’être humain semble avoir cette étonnante capacité, comme l’a montré Freud dans Totem et Tabou, à cultiver et à conjuguer au présent le primate et les bactéries millénaires qui dorment en nous. En ce sens, on pourrait même avancer que la névrose est un signe de progrès dans le sens où le sujet cherche une fuite, un symptôme pour envelopper ses pulsions et s’adapter, autant que faire ce peut, aux lois de la cité.

Cependant, il arrive parfois, que la machine se grippe et que nous tombions en état de mélancolie ou de dépression. Individuellement ou collectivement, nous connaissons des blocages ou des crises qui viennent nous donner des occasions de stopper notre mouvement vers pour bégayer sur place.

Et si la sortie était dans la symbolisation, dans la production de nouveaux signifiants ?

Lorsque l’on se penche sur les 4 discours de Jacques Lacan, on comprend que le discours peut lui aussi évoluer et nous faire changer de positionnement dans notre rapport à l’Autre. Historiquement et globalement en Occident (et ailleurs ?), pourrait-on dire à l’échelle des cinq milles dernières années, nous sommes passés collectivement du discours du maitre (dM), au discours de l’université (dU) avec la renaissance et le siècle des Lumières pour arriver à la découverte Freudienne de l’inconscient et à la naissance du discours de l’analyste (dA). Individuellement, il en est autrement. En effet, notre rapport au monde est barré. Nous sommes à la fois des êtres conscients et des êtres conduits par la dynamique de notre inconscient.

Donc, si notre inconscient est structuré comme un langage et fonctionne comme un système d’archives, nous sommes tous porteurs d’une logique autre, où nos signifiants s’enchainent malgré nous pour parler un autre discours que celui que nous croyons maitriser à l’état de conscience. Cet état de nature, pourrait-on dire, nous amène parfois à régresser mais porte aussi notre désir fondamental d’être au monde pour qui, le but de la vie est la vie.

La cure analytique poursuit donc cet objectif de donner un lieu, une hétérotopie (d’abord matérielle avec le divan et immatérielle avec le protocole de l’écoute flottante de l’analyste) pour faire avancer le sujet dans la connaissance et la (re)construction de son propre discours. Un peu à la manière de l’archéologue, l’analyste fait remonter à la surface les chaines signifiantes et les liens inconscients pour nous aider à nous en libérer et à donner forme à notre bon sens (celui de notre désir).

Pour aller plus loin dans l’illustration de cette idée, la lecture du texte de Freud sur « les délires et les rêves dans la Gradiva de Jensen » peut se révéler être un très beau voyage au cœur de la « cure d’amour ».

LE TALENT DES PETITS POTS

Anne-Gaëlle Burban, mai 2013

Simulation virtuelle pour le projet d’intervention plastique intitulée Nature/Contre Nature.

© Crédit photographique Julien Borie, nOOrs.

A l’intérieur du vaste espace d’une ancienne grange, une foule de 364 ou 365 petits pots en verre (selon les années), porteurs ou non d’un post-it coloré rose, jaune, orange vert ou bleu, vient s’agglutiner à même le sol et occupe la place en formant naturellement une barrière circulaire de 6 mètres de diamètre, dessinant ainsi une immense aire vacante et sphérique.

Dans le silence du lieu, cette installation in-situ joue avec les qualités plastiques d’une unité (le petit pot de verre) qui se répète et qui n’est chaque fois ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre. En effet, de micro variations viennent rythmer l’appréhension de l’ensemble et opèrent localement comme autant d’agents singuliers. Parmi ces variantes, on citera notamment la présence ou non de post-it à l’intérieur, leur couleur, leur contenu et leur position. Nous serons sensible également aux formes, ainsi qu’à l’orientation et à la manière dont chaque pot capte et transmet la lumière à notre regard.

Contrairement à ce que nous avons comme représentation d’une galerie d’art, l’occupation, ou plutôt le déploiement spatial se joue ici horizontalement et non verticalement. Il s’agit ici d’un monument relativement plat (environ 8 à 10 cm suivant la hauteur des pots), agissant un peu comme un bas-relief ou une flaque potentiellement coupante qui empêche ou du moins conditionne, d’une certaine manière, la déambulation du spectateur.

En rentrant le spectateur pourrait être saisi par l’aspect d’inquiétante étrangeté émanant de cette installation éphémère. En effet, le petit pot de yaourt en verre, compagnon bien connu de notre table, libéré de son opercule se retrouve détourné de sa fonction. De un, il passe à 365 et devient le marqueur du temps qui passe.

Pris dans l’installation, chaque sujet peut s’identifier à un petit pot, plein ou vide et ressentir sa condition de « petit point/pot » emprisonné par l’instinct grégaire dans l’immensité du cosmos.

Les petits pots semblent déterminés par une loi, un tabou, une peur fondamentale les empêchant de franchir une limite invisible. N’est-ce pas ainsi que nos sociétés et que nos individualités sont régies ? Est-ce la marque d’une sagesse collective ?

Le contraste de la foultitude disciplinée des petits pots créant ce vide peut aussi provoquer un sentiment de malaise, voir d’angoisse. De cette angoisse peut naitre une image magique, un fantasme. En effet, rien ne nous empêche d’attribuer à cette zone sacrée (parce qu’apparemment vierge) des vertus chamaniques.

D’une certaine manière, l’installation Nature/contre nature cherche à réveiller l’ambivalence qui est en chacun de nous. A la fois fasciné et repoussé par ce périmètre du vide et du manque, le sujet observe passivement la multiplication exagérée d’un détail du quotidien : le pot et le mot. La répétition, la ritournelle du module peut conférer au bégaiement (T.O.C) ou au symptôme, voir à la propagation cancéreuse des cellules d’un espace protéiforme dont nous ne serions qu’une infime partie. Ce rien, cette forteresse du vide peut aussi faire référence au discours d’un certain capitalisme qui produit du rien à la place du désir et qui maintient ainsi le peuple hystérisé à l’écart d’une jouissance investie.

Parallèlement l’idée de multiplication des pots (et non des pains !) peut également faire référence à la dialectique vie/mort en donnant l’avantage à Eros. C’est alors, la parabole de la continuité, de la résilience, des générations qui se succèdent depuis la nuit des temps et qui vérifient la thèse que le but de la vie est la vie.

Quant à la place du langage dans cette œuvre, elle est centrale. Les mots contenus dans les pots sont pareils à des talents révéler ou à révéler (dans tous les sens du terme : la monnaie et les aptitudes). Ce sont ces mots avec leur mi ou leur non-dit qui lient et animent les multiples unités en un tout. A l’instar d’un mur des lamentations horizontal, chaque post-it contient localement et individuellement un secret (un tabou) participant globalement aux soubassements culturels (le grand Autre) et à l’enrichissement collectif des signifiants.

Ainsi, ce qui serait fondamentalement contre nature serait la disparition de ces signifiants. Or, une société en panne de nouveaux signifiants est une société rongée par le cancer de sa morbidité et promise à l’extinction imminente.

BIBLIOGRAPHIE

§ Freud S. « Malaise dans la culture », 1930

§ Freud S. « Le moi et le ça », 1923

§ Michel de Montaigne. « les Essais »

§ Freud S. « Délires et rêves dans la Gradiva de Jensen », livre de poche.

§ Freud S., « Trois essais sur la théorie sexuelle », 1905.

§ Freud S., « Totem et tabou ».

§ Freud S. « Deuil et mélancolie », livre de poche.

§ Laborit E. « Eloge de la fuite », livre de poche.

§ Lacan J. « Livre XVII : l’envers de la psychanalyse », ed. Champ Freudien.

§ Lacan J. « L’angoisse – Le séminaire, livre X ».

§ La bible, Le maitre et les trois serviteurs, Matthieu, 25, 14-30

§ Sabina Spielrein « La destruction comme cause du devenir », in internationale Zeitschrift für Artzliche Psychoanalyse, I,1913.

§ Daniel Lysek. « Bollettino dell'Istituto Italiano di Micropsicoanalisi , n° 22, Turin, Tirrenia Stampatori », 1997.

§ Fanti, « Dictionnaire de la psychanalyse et de la micropsychanalyse », 1983.

[1] CHEMAMA R., VANDERMERSCH B., Dictionnaire de la psychanalyse, p. 52.

[2] Ibid., p. 52.

[3] Ibid., p. 52.

[4] Ibid., p. 52.

[5] Ibid, p. 100.

[6] Ibid, p. 67.

[7] Ibid, p. 27.

[8] Ibid, p. 34.

[9] Denise Morel, Cancer et psychanalyse, p. 77-78.

[10] Ibid, p. 27.

[11] Ibid, p. 27.

[12] Ibid, p. 24.

[13] Ibid, p. 19.

[14] Ibid, p. 66.

[15] Ibid, p. 166.

[16] Ibid, p. 157.

[17] Ibid, p. 170.

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