Interview journal Libération Paris : 19 février 2011

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Des deux côtés, on parle avec beaucoup de haine, remarque Hassan Makarami.

19/02/2011 à 00h00

Jour de haine en Iran

Analyse

A Téhéran, des dizaines de milliers de fidèles du régime ont réclamé l’exécution des opposants.

Par JEAN-PIERRE PERRIN

Pour la première fois, le régime islamique de Téhéran donne l’impression d’avoir peur. D’où l’organisation vendredi par le pouvoir d’une «journée de la haine», qui laisse craindre que le pire puisse se produire dimanche lors des nouvelles manifestations annoncées par l’opposition. Vendredi, lors de la traditionnelle prière à l’université de Téhéran, l’une des tribunes du régime, des dizaines de milliers de fidèles sont allés jusqu’à réclamer l’exécution des deux principales figures de l’opposition réformatrice, Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi. Quelques jours plus tôt, un appel à un procès rapide suivi d’un «châtiment sévère» contre les deux leaders, voire de «leur pendaison», avait déjà été lancé par une cinquantaine de députés, mais aussi par des membres du clergé et même des conservateurs qualifiés de modérés. La foule présente à la prière du vendredi a repris ce message. «Mort à Moussavi, mort à Karoubi» ou «Moussavi et Karoubi doivent être pendus», scandait-elle.

Résidence surveillée. Curieusement, c’est l’ayatollah Ahmad Jannati, connu pour ses prêches extrémistes, qui a calmé les ardeurs meurtrières des fidèles. A la tête du Conseil des gardiens de la Constitution, l’une des principales institutions de la république islamique, il a exclu leur exécution, réclamant que les opposants soient soumis à un régime de résidence surveillée sévère. «Certains disent qu’ils doivent être pendus. Mais ils sont déjà pendus, ils n’ont plus aucune réputation. Certains demandent qu’ils soient jugés, la justice agira en tenant compte des intérêts [du régime]. Ce que la justice doit faire, et est en train de faire, c’est de couper tous leurs contacts avec la population. Il faut limiter leurs allées et venues, qu’ils soient empêchés de donner et de recevoir des messages. Il faut couper leur téléphone, leur Internet. Il faut qu’ils soient emprisonnés dans leur propre maison.»

De facto, Mehdi Karoubi et Mir Hossein Moussavi sont depuis plusieurs jours en résidence surveillée, privés de visites, et leurs téléphones ont été coupés. Mais ils ne sont pas formellement arrêtés, ce qui aurait encore ajouté à la colère de l’opposition. «Visiblement, Ahmad Jannati a cherché à calmer le jeu. Le régime a fait marche arrière. Il n’a pas voulu aller jusqu’au bout parce qu’il n’est pas en position d’aller jusqu’au bout», explique Karim Lahidji, le président de la Fédération iranienne des droits de l’homme.

«Ce qui frappe, c’est que le régime donne l’impression de perdre son sang-froid. Or le sang-froid est le propre de tout pouvoir», souligne de son côté Hassan Makarami, un psychanalyste et chercheur iranien. Faisant suite à la prière du vendredi, et en réponse aux rassemblements antigouvernementaux de lundi, les autorités ont organisé une contre-manifestation pour permettre à «la population de Téhéran d’exprimer sa haine, sa colère et son dégoût devant les crimes sauvages et répugnants des chefs de la sédition», appellation officielle de Moussavi et Karoubi.

En jouant la carte de la haine à tout prix, le régime est allé très loin. Il s’est approprié la mort des deux manifestants tués par balles lundi en faisant croire qu’ils étaient des partisans du régime et les a fait enterrer en l’absence de leurs familles. Pis, il a fait croire que l’un de deux jeunes gens, Sane Jaleh, était un membre des bassidji (les milices islamiques chargée notamment de la répression), produisant sa carte de membre. Or, selon l’opposition, une telle affirmation est invraisemblable et le document avancé serait périmé. Dans une interview à la radio Voice of America, le frère de Sane Jaleh, qui depuis semble avoir été arrêté, a démenti que la victime ait été un partisan du régime. Il s’est plaint également que le corps n’ait pas été rendu à la famille.

Récupération. Loin de calmer les manifestants antirégimes, qui se sont sentis humiliés, cette récupération par le pouvoir a exacerbé leur colère. «Des deux côtés, on parle avec beaucoup de haine, remarque Hassan Makarami. Dans les slogans de ces derniers jours, on entend clairement "à bas Khamenei" [le Guide suprême, dont la personne ne peut faire l’objet, sous peine de prison, de la moindre critique, ndlr] et "mort au dictateur". Désormais, les gens ne demandent plus le respect du résultat des élections de 2009 mais la fin du régime. Ce qui est vraiment nouveau, on le voit sur certaines vidéos, c’est que les manifestants ne font pas que se défendre, ils attaquent les forces de l’ordre.»

Après la journée de la haine, qui a mobilisé des dizaines de milliers de partisans du régime, l’opposition veut reprendre la main. Arrivé récemment à Paris, un militant du «mouvement vert» (l’opposition) réputé très courageux confiait que la haine était désormais générale et qu’il avait à présent très peur de ce qui allait se passer dimanche.

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