ESQUISSE D’UNE REVOLUTION ( Iran 1979 – 1999)

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ESQUISSE D'UNE REVOLUTION
( Iran 1979 – 1999)

L'Iran, avec une civilisation très ancienne, au carrefour de mouvements culturels et économiques très importants depuis plus de 2000 ans, a fait parler de lui ces 20 dernières années.
En tant que professeur d'Université et opposant au régime du Chah en Iran (mouvement des années 78 à 82 ), souffrant de la dérive et de ce qu'elle implique - vie clandestine, émigration, destruction des tissus familiaux et sociaux, pour finir par les pertes violentes de vies humaines proches et leurs douloureuses conséquences- je me sens prédisposé à avancer quelques mots et à jeter un regard sur le pays et un autre sur le monde.
L'ensemble des événements jusqu'à la constitution, la stabilisation d'une loi constitutionnelle, qui doit être admise tant bien que mal par la communauté internationale, et le changement de structure des relations sociales et économiques ont pour nom "la Révolution".
Huit ans de guerre avec l'Irak, 20 ans de répression, de terreur et de censure politique et sociale, un contexte démographique particulier (plus de 50 % d'augmentation de la population en 20 ans, avec un taux de plus de 60 % de moins de 20 ans), des problèmes économiques considérables dans une région très perturbée avec au nord des pays de l'ex-U.R.S.S., l'Afghanistan (dont les dirigeants Talibans sont qualifiés par l'Etat iranien de criminels), le Pakistan et la Turquie à l'instabilité intérieure chronique et aux relations particulières avec les USA et enfin l'Irak, les Kurdes et les pays du Golfe Persique corrompus, gâtés et faibles.
Autant de données sensibles et de caractéristiques qui transforment en pari difficile un objectif d'analyse qui cherche à comprendre la "structure" de cette « Révolution ». L'exercice peut cependant, en premier lieu, nous donner les éléments suivants :
1- Le Clergé Chi’îte, une organisation sociale et politique datant de plus de 5 siècles, avec ses circuits financiers, ses recrutements autonomes enracinés dans la profondeur géographique, sociale et culturelle de l'Iran refait surface, révélant son importance, son pouvoir et son visage, ses liens, ses différences avec les autres Clergés des pays du monde de l'Islam. Le Clergé Chi’îte est bien enraciné dans les profondeurs culturelles et sa disparité géographique incarne en même temps une certaine identité culturelle. Il symbolise également la notion de Nationalité pour une majorité traditionnelle.
2- Le monde rural, la structure traditionnelle, économique et sociale du Bazar prennent une véritable importance. Ceci privilégie l'économie intermédiaire par rapport à une économie de production d'une part, l'investissement de l'Etat dans le secteur rural ( construction de routes, meilleure distribution d'électricité, …) ne nécessitant pas une organisation et une technicité de management complexes d’autre part.
3-Le combat de l'intelligentsia, issue des écoles, démarre au milieu du 19ème siècle. Après les
passages très mouvementés de la révolution constitutionnelle de 1906 et du coup d'état de 1953, il risque de durer davantage que prévu, mais les concepts de justice sociale qu'il a alimentés ont pris leur place dans le pays. En Iran, devenue une République Islamique, la terreur, la torture, l'arrestation sauvage, les jugements sans défense,l'exécution sommaire et généralisée sont devenus des outils de gestion de l'appareil de l'Etat. Le système juridique moderne cède sa place à un jugement individuel du Clergé. L'hypocrisie, la corruption, la délinquance, la drogue, la prostitution se généralisent et sous de multiples pressions les réponses apportées présentent de grandes différences avec les désirs exprimés
4-La politique étrangère de la république Islamique cohérente, indépendante cherche à jouer entre l'achat de ses nécessités quotidiennes d'alimentation, d'armement et ses différents fournisseurs pour un rapport qualité / prix optimisé: ne pas trop céder sur les
principes de base, mais avoir le minimum pour faire vivre le pays. Cette politique et les propagandes organisées et massives (une spécialité du Clergé Chi’îte) tant à l'intérieur qu'à l'extérieur attirent les orphelins culturels dans les pays musulmans.

5-L'émigration massive des Iraniens issus des écoles avant, pendant et après la révolution vers des pays occidentaux a, pour la première fois, permis un échange culturel dense entre l'ensemble de ces pays- là et les Iraniens, un jeu qui va à l'encontre des souhaits de fermeture culturelle du clergé chi’îte. Ceci, malgré la souffrance de ces millions de réfugiés et de leurs proches en Iran, reste un atout pour l'avenir et le contact des cultures persane et occidentale permettra aux futures générations une vraie révolution culturelle.

6-L'implication très grande de la population dans les actions politiques (élections, manifestations, substitution de la terreur, incarcérations, exécutions, émigration, etc. …) au long de ces 20 années a politisé profondément la société. Comme par le passé, la culture perse a permis aux iraniens de vivre, dès le berceau, l'ensemble de leurs difficultés en tolérance avec les différentes minorités ethniques, de la même manière que pendant des années, ils ont su partager leur pain quotidien avec des millions de réfugiés Afghans.

Ces quelques traits de base cernent un périmètre dans lequel nous avons la possibilité de trouver, peut-être, une ligne directrice comme structure de cette révolution. Le clergé chi’îte, une culture millénaire, le tissu économique du Bazar et ses liens avec le monde rural, une politique étrangère bien indépendante, une population jeune à la recherche d’un modernisme emprisonné et finalement le capital très riche d’une population issue des écoles, hors du pays mais porteuse d’expériences bénéfiques pour l’avenir.

Dans un monde à la recherche de nouvelles voies, tout cela peut produire des effets inattendus. Comme un ancien arbre qui donne un nouveau fruit, comme un fruit mûr après le passage des tempêtes peut nous réserver un goût nouveau; ou comme une autre voix, celle de la sagesse, venu de la bouche de la jeunesse.

Un peuple en dépression, en difficulté, n’a pas d’autre choix qu’inventer l’espoir et toutes les conditions sont réunies : l’intuition collective d’une population qui n’hésite pas à approuver l’indépendance de l’Iran face aux autres puissances, tout en refusant toute sorte de répression et prêt à mettre au premier plan la satisfaction du besoin culturel.

Pour un psychanalyste ce tableau en perpétuel mouvement d’un peuple venu de loin et n'ayant pas dit encore son dernier mot devant l'Histoire, un pouvoir politico-religieux bien particulier (cruel, rigide, criminel) se situant à part dans une région très chaotique et un monde troublé en post-guerre froide, laisse apparaître l'œuvre d'un peintre calligraphe. Profitant de toute l'histoire de la calligraphie Persane, issue de l'alphabet arabe après leur invasion puis adaptée par la morphologie culturelle et géopolitique d'un peuple pendant 15 siècles, avec des lignes fortes et abstraites, il lui reste à dessiner les interprétations des rêves éveillés d'un phénix moitié cendre-moitié flamme et la totalité de l'espoir.

Limoges février 1999

Hassan MAKAREMI
Psychanalyste

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