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interview journal Libération du 18 juillet 2009
" La différence avec le régime du chah, c’est que les opposants d’aujourd’hui sont beaucoup moins organisés», explique Hassan Makaremi, un chercheur et artiste iranien réfugié à Paris.
Sur les photos prises en catimini, souvent avec un téléphone portable, on les voit avec un pistolet, un couteau ou une kalachnikov à la main. Certains sont surpris alors qu’ils frappent, tirent et même tuent des manifestants. A ce jour, ils sont quatorze, quatorze «tueurs» à avoir été identifiés par l’opposition, qui a fait circuler sur la Toile les clichés les montrant dans leurs basses œuvres. Sous les images, on peut lire leurs noms, leurs numéros de téléphone et leurs adresses. Ces hommes de l’ombre, les Iraniens les appellent les lebas shakhsi, c’est-à-dire «les vêtements civils». Ils font en général partie du service de renseignements des gardiens de la révolution. Toujours sur la Toile, on peut aussi découvrir des photos de lebas shakhsi qui n’ont pas encore été identifiés. Avec ce commentaire : «Ce sont eux qui frappent et tuent nos compatriotes. En envoyant ces images à tout le monde, on peut retrouver l’identité de ces gens. Faisons en sorte qu’ils soient poursuivis jusqu’à la fin de leurs jours. Si vous les connaissez ou si vous avez des infos sur eux, envoyez-les au mail suivant…» Nébuleuse. Si l’opposition a perdu la bataille de la rue, si elle n’espère plus beaucoup le soutien des religieux chiites qui, à quelques exceptions près, se taisent, si elle doit faire face à des arrestations quotidiennes, elle n’a pas pour autant renoncé à affronter un régime qui, malgré ses fissures, apparaît encore solide. Face à un rapport de forces très inégal, elle a recours à d’autres formes de contestation. Dont celle d’identifier ceux qui sont soupçonnés d’avoir tué ou blessé des manifestants. «On retrouve les méthodes employées par les opposants du temps du chah. Ils procédaient d’une manière analogue avec les agents de la Savak [la police secrète de cette époque, ndlr] en leur faisant savoir qu’ils étaient identifiés. Une façon d’essayer de leur faire peur en leur disant : "On sait qui vous êtes." La différence avec le régime du chah, c’est que les opposants d’aujourd’hui sont beaucoup moins organisés», explique Hassan Makaremi, un chercheur et artiste iranien réfugié à Paris. Si, malgré la sévérité de la répression, l’opposition n’a pas baissé les bras, elle le doit d’abord à Mir Hossein Moussavi, qui reste ferme. Il s’attache même à fonder un parti dont on ignore s’il se situera à l’intérieur ou à la marge de l’actuel régime. Mais la contestation reste globalement sans tête : la plupart des ténors du camp réformateur sont toujours en prison, de même que nombre de journalistes. D’où l’impression d’une vaste nébuleuse, sans structure propre, sans direction, qui se désigne elle-même sous le nom de «Mouvement vert» - la couleur de campagne de Moussavi. Sa seule arme, c’est Internet. C’est par ce média que sont transmis les mots d’ordre et les consignes. Celles pour la manifestation du 9 juillet étaient au nombre de 15. Certaines donnent des conseils pratiques : «N’ayez aucun objet qui puisse faciliter votre capture ou vous blesser lors d’une altercation, comme un collier épais.» Certaines expriment la philosophie du mouvement : «Evitez les slogans trop violents. Au lieu de "mort à", dites plutôt "vive…" Essayez d’être positif. Rappelez-vous qu’arriver au but est bien plus important qu’une satisfaction immédiate.» Ou : «N’oubliez pas l’objectif : un mouvement dans le cadre du respect de la loi pour l’obtention des droits des citoyens […]. Rien d’autre. Ne prenez pas comme modèle les groupes d’opposants à l’étranger (royalistes, marxistes…).» D’autres consignes prévoient même une issue fatale : «Si vous voulez être identifié au cas où il se passerait quelque chose, mettez dans votre poche une photocopie de votre carte d’identité et écrivez votre numéro de téléphone et votre adresse au dos.» Solidarité. Pour le «Mouvement vert», le prochain objectif est de provoquer, mardi soir, pour commémorer la mort des jeunes tués à la manifestation du 20 juin, une vaste panne d’électricité à l’heure du journal télévisé. D’où cette consigne : «A 21 heures précises, nous demandons à tous les Iraniens de mettre en service un appareil électrique puissant, de préférence un fer à repasser surchauffé. Le branchement doit durer 240 secondes.» But de l’opération : «Nous pourrons sortir sur les toits, sans crainte d’être repérés par les indics, et crier sans peur des représailles : "Allah Akbar !"» Des initiatives qui ne sont guère de nature à chasser Ahmadinejad du pouvoir. Mais dans une société très jeune, où l’individualisme confine à l’égoïsme, on assiste à la naissance d’une véritable solidarité. Comme le raconte Sepiedeh, une jeune Téhéranaise : «Quand les bassidji mettent une croix sur une maison pour signaler que ses habitants ont crié "Allah Akbar", les voisins mettent aussitôt des croix sur les autres maisons du voisinage.» Jean-Pierre PERRIN